A Bouxwiller, la réflexion sur notre projet d’Église a mis en évidence notre désir commun d’accueillir. Accueillir, oui mais comment ? Nous sommes convaincus que le culte est un puissant instrument d’annonce de l’Évangile, un lieu où des visiteurs peuvent découvrir l’un des temps forts de la spiritualité chrétienne. Nous nous sommes lancés comme défi d’y inviter plus souvent nos proches, amis, collègues, voisins… Oui mais voilà, il n’est pas toujours évident d’inviter un ami à l’Église. L’angoisse est toujours là que la prédication, les réflexions du président, les paroles des cantiques soient difficilement compréhensibles pour des personnes n’ayant jamais (ou très peu) entendu parler de Christ… Peur aussi que le prédicateur prenne la parole après une présidence qui ressemblait déjà fortement à une première prédication, puis explose à son tour son temps de parole… Nous avons donc choisi de consacrer chaque premier dimanche du mois à l’accueil, au travers d’un culte de l’amitié, accessible à un large public.
Ce dimanche-là, toute l’Église se mobilise. Les membres savent que c’est le dimanche où ils peuvent inviter leurs amis. L’équipe d’accueil prépare un café (ou un verre de l’amitié). Présidents, prédicateurs, musiciens préparent un culte plus court, où l’Évangile est partagé de façon claire et contemporaine, où sa pertinence pour notre quotidien est mise en évidence. Des Nouveaux Testaments sont mis à disposition. Cène, prédications plus approfondies et annonces développées sont réservées à d’autre dimanches.
La préparation de ce culte ne doit pas constituer une somme de travail exceptionnelle. Il ne s’agit pas de préparer une superproduction, mais simplement de faire l’effort d’adapter le message général à un public un peu différent : un mélange d’habitués et d’invités. Après une première année de test, ces « cultes de l’amitié » commencent à rentrer dans les habitudes. Nous nous rendons compte que mine de rien, c’est du travail que de réfléchir à notre manière de communiquer plus clairement le contenu de notre foi !
Pour illustrer la difficulté qu’un visiteur peut avoir à mettre les pieds dans une Église évangélique, voici un petit témoignage (imaginaire mais inspiré de faits réels).
« Max me tanne depuis des années pour que je vienne dans son Église. Depuis que j’ai vu ce reportage sur M6, les évangéliques m’intriguent, mais me font un peu peur. Est-ce que c’est une secte ? Bon, Max est vraiment quelqu’un de sympa, il est venu lors de la dernière kermesse du club de tennis et a aidé à la vaisselle. Je lui dois bien ça.
9h50. Je ne veux pas arriver en retard, je pense que c’est mal vu d’arriver en retard à la Messe. J’emmène ma fille, ma petite dernière. C’est pratique un enfant, ça permet d’engager la conversation plus facilement.
J’arrive devant le bâtiment. Il y a vraiment une Église là-dedans ? Je me suis toujours demandé ce qui se cachait derrière ces volets fermés ! J’entre. Un groupe de personnes est devant la porte d’entrée me regarde en coin, personne ne me salue. Il y a des chaises sur la droite, ça doit être par là.
Bon Max, n’a pas l’air d’être là. Ça ne m’inquiète pas, il est toujours à la bourre. Mais aujourd’hui j’aurais aimé qu’il soit à l’heure. Je vais m’asseoir, j’en ai assez de tenir compagnie à la plante verte.
10h00 rien ne se passe. Des musiciens sont en train d’accorder leurs violons. Ils ont l’air stressé. Il y a en a une qui est arrivée en courant, elle s’est pris les pieds dans le câble d’un micro, elle a manqué de faire un vol plané.
10h05, ça y est quelqu’un monte sur scène. Il demande aux gens de s’assoir. Il fait une blague que je ne comprends pas, mais je dois être le seul parce que tout le monde rigole. Je commence à me sentir mal à l’aise, Max n’est toujours pas là. 10h10, ah ben tiens si le voilà. Il vient s’assoir à côté de moi, sa présence me rassure.
Je trouve les musiciens vraiment bons. C’est fou ça une batterie dans une église. La musique est assez contemporaine. Bon je n’ai pas compris pourquoi tout à coup on s’est mis à chanter en allemand. Je ne parle pas allemand moi. En même temps, même les paroles des chants en français je ne les ai pas compris. Ça disait que Dieu avait une « armée », qu’il fallait « faire flotter la bannière de Christ », « faire descendre le feu sur notre pays », que sa bannière c’est l’amour, qu’ils étaient contents parce que l’ « onction » était là, et ils ont « invoqué le feu du fondeur ».
Puis il y a eu une coupure de pub : le président a fait la promotion des activités de l’Église, et on s’est un peu fait enguirlander à cause des manteaux oubliés depuis plusieurs dimanches qui s’accumulent sur les portemanteaux. Je me suis senti visé, mais je me suis vite rendu compte que je n’étais pas en cause puisque je venais pour la première fois. Ça m’a rassuré.
La suite de la pub, je ne peux pas trop vous raconter : ça a commencé à parler dénominations, union d’églises, règlement intérieur, je crois. Moi j’ai déjà du mal à faire la différence entre catholique et protestants. Là avec FEF, FPF, CNEF, Vision-France, France-Mission… j’ai déconnecté.
Et puis le président a dit. « Les enfants, vous pouvez y aller ». Allez où ? Partir ? Qu’allaient-ils faire ? J’aurais aimé qu’on m’explique. C’est ma fille après tout. Max m’a rassuré. Ils ne vont pas loin, juste à l’étage d’en dessous pour « l’école du dimanche ».
Puis ils ont fait passer dans les rangs des petits gobelets rigolos avec du jus de raisin, et des petits cubes de pain. Ça m’a rappelé l’eucharistie que je prenais à l’époque où j’allais à la messe avec mes parents. Mais en version self-service. Quand le pain est arrivé jusqu’à moi, Max s’est jeté sur le plateau et l’a fait passer plus loin, avant que je puisse me servir. J’ai senti qu’il était hyper gêné. Il a bredouillé « tu sais tu n’es pas obligé… c’est juste pour ceux… qui ont accepté Christ ». Accepter Christ ? Je n’ai pas compris : mes parents m’ont toujours dit que la « première communion » suffisait pour l’eucharistie.
Le président a enchaîné sur un long développement où il était question de « secouer la poussière sous ses sandales ». Il parlait vite. Il a fini par dire qu’on était en retard alors qu’il ne pourrait pas dire tout ce qu’il avait à dire. Mais qu’il terminerait la prochaine fois.
Je crois que le pire, ça a été le prêche. Il était 11h05, je pensais qu’on allait en rester là, mais un type est monté sur le meuble avec la croix, il a lu un texte de la Bible interminable et incompréhensible.
Ça parlait de pierre angulaire et de pierre d’achoppement, de sacerdoce … Il a dit qu’il avait une bonne nouvelle : il fallait « amener des âmes à Christ », et nous a invités à « déposer nos fardeaux au pied de la croix », que puisque nous étions « sous le sang de Christ », « les puissances et les dominations » avaient perdu leur influence parce que le chrétien est marqué par le « sceau de Dieu ».
Mon cerveau s’est mis automatiquement en mode protection, je me suis réfugié tout au fond de mon être intérieur, et j’ai commencé à faire ma liste de course pour lundi.
C’est un chant qui m’a réveillé : Agneau de Dieu immolé, Tabernacle, Trône de grâce … plus rien ne m’étonnait.
La musique s’est arrêtée, il y a eu comme un flottement. Une personne s’est levée en s’étirant. Une deuxième, ils se sont fait la bise. C’était fini. Ouf 1h50 quand même. Max s’est tourné vers moi et m’a demandé : « Alors, ça t’a plu ? ». J’ai bredouillé un « c’était bien… ça change de la messe… »
J’ai vu à son large sourire que c’était la réponse qu’il attendait.
« Qu’as-tu pensé de la prédication ? » A-t-il enchainé.
J’ai été sorti d’affaire par un de ses amis qui l’a attrapé par l’épaule. « Max tu as eu le mail avec les devis pour les chauffe-eau, il faut qu’on en parle on attend une réponse avant demain …».
Leur histoire de chauffe-eau avait l’air importante. Je me suis retrouvé seul. Alors je me suis faufilé vers la sortie, j’ai attrapé ma fille qui courait dans le hall derrière d’autres enfants, et je suis parti.
Bref, j’ai participé à un culte évangélique.
Une réflexion proposée par Matthieu Freyder, pasteur à l’Église évangélique de Bouxwiller