Chercher des pasteurs pour gérer des réseaux, c’est un choix que l’on peut trouver cohérent au vu de la pénurie de pasteurs, mais des question se posent.
Est-ce un choix des hommes à défaut de trouver suffisamment de pasteur (les gens ne s’engagent plus peut-on suggérer d’une manière négative) ? Un choix des Églises locales en attendant d’avoir leur propre pasteur ? Une conséquence de l’attitude de certaines communautés à l’égard de leurs pasteurs refroidissant ainsi toute aspiration au ministère ? Un choix de Dieu ?
Commençons par une réflexion d’Émile Nicole. Pour lui, c’est une grave lacune de voir le service pastoral comme destiné à l’Église locale seule.
« [Cela] revient à limiter l’organisation de l’Église à la communauté locale, comme si rien ne pouvait ou ne devait être organisé au-delà »(1).
D’ailleurs, l’apôtre Paul, dans sa lettre aux Éphésiens (2), écrit que c’est Christ qui fait don à l’Église de quelques ministères, dont celui de pasteur et docteur. Or, il venait de préciser qu’il n’y avait qu’ « une seule église ». Mais une fois spécifié cela, est-ce que cela implique pour le pasteur qu’il soit de fait un pasteur de réseau ?
D’abord, tous les pasteurs ne se ressemblent pas, ne sont pas sensibles aux même préoccupations des assemblées, et y répondront de manière différentes, selon leur sensibilité et leur vocation spécifique : évident, mais cela va mieux en le disant. Dans le livre « l’Essentiel dans l’Église », il est présenté trois types de profil pastoral (3).
Le pasteur prestataire de service (nourrir par l’enseignement, organiser le culte, proposer des cultes spéciaux, accompagner). D’autres nommeront plus positivement : pasteur berger.
Le pasteur PDG (il conduit, manage, organise les plannings, cultes mais aussi événements spéciaux)
Le pasteur formateur (les communautés deviennent des centres de formation)
Chaque profil possède ses avantages et inconvénients pour l’Église. Et la tentation serait grande de chercher lequel serait le plus biblique. Je ne sais si cette façon de réagir est la bonne. Ce que je sais c’est que mon regard sur ces profils est conditionné par qui je suis, et de comment je vis le ministère. Ainsi, en empruntant et adaptant les mots d’un pasteur à la retraite :
« Les réflexions qui suivent ne prétendent pas au statut d’une théorie du développement du ministère pastoral en réseau. Je me propose seulement de partager une interprétation d’un parcours toujours en construction qui est le mien, et de ce qui peut se passer dans le département des côtes d’Armor. »
Ma lecture est conditionnée par ma personnalité et ma façon de travailler y compris lorsque j’étais cadre (plusieurs projets en parallèles avec un regard sur le moyen terme). À cela s’ajoute certains choix de lecture d’ouvrage comme « Évangéliser selon le maître » de Robert Coleman, ou « Paul, meneur d’hommes » de Oswald Sanders dès ma jeunesse chrétienne. Sans oublier bien sûr, les expériences d’Églises heureuses ou non.
Quel lien avec le rôle du pasteur de réseau ? C’est liée, le contenu de ces livres peuvent ouvrir à ce type de profil. Et ils ont participé chez moi à un accueil plus que favorable d’un article dans un numéro d’Action Missionnaire de 2010 sur le pasteur de Réseau. Ce qui m’a fait venir pour la première fois à un congrès de France Mission en 2010. En fait, c’est une histoire de choix.
D’abord, le choix de ne pas être sur une seule église. Cette position n’était pas tant pour remplir mon agenda, ni être un homme rempli de responsabilité. Au contraire, j’avais l’intention de ne pas m’accaparer le service que Dieu avait confié à d’autres. C’est aussi ce que l’apôtre Paul conseille de par son exemple :
« Nous prendrons comme mesure les limites du champ d’action que Dieu nous a confié… Aussi ne dépassons-nous pas les limites de notre domaine » (4)
Par ce choix, cela communiquait implicitement quelques informations dès le début que :
Des besoins existaient dans les églises alentours, et notamment les dimanches matin.
Des personnes pouvaient prendre responsabilité.
Paradoxalement, être sur différents lieux m’évitait de surfonctionner :
« Surfonctionner veut dire réaliser à la place des autres ce qu’ils sont censées faire pour eux-mêmes » (5)
Cela a conduit à mettre en place des équipes de prédicateurs, puis de louange qui parfois allaient à Lamballe, puis plus tard ponctuellement sur Lannion, Grâces. Et dernièrement, il y a même eu des échanges de prédicateurs entre Roscoff et Grâces. Maintenant, ne pas être sur un seul lieu conduit à être confronté à de nombreux choix face à des besoin toujours croissants, des choix qui se discutent pour la plupart en équipe pastorale, ou en conseil d’église.
Mais il est aussi question de choix personnels : Quelle priorité dans mes rencontres, et mes disponibilités ? Il est vrai que cela ressemble à de nombreux fonctionnement d’Églises. Ces questions dirigent toujours mes regards vers la souveraineté de Dieu et mes limites humaines. Et voici ce que j’ai affiché sur la droite de mon bureau (au cas où j’oublierais).
« Je ne suis pas moralement invincible, je ne suis pas irremplaçable. Dieu n’a pas besoin de moi. Il peut arriver à ses fin sans moi ».
Cette disponibilité limitée m’évite de tomber dans un piège : le contrôle.
Dans ces choix, ma priorité est officiellement et régulièrement exprimée : prendre soin des responsables, et responsables en devenir, les encourager, les accompagner. Cela peut passer comme un choix au détriment de l’Église locale dans son ensemble (et les autres alors), alors qu’au contraire c’est un acte qui est au bénéfice du plus grand nombre. Le pasteur n’étant pas toujours présent, cela contraint positivement chaque responsable à regarder ce que Dieu attend de lui également (en fonction de ses disponibilités). Cela permet de voir émerger des dons que Dieu avait donné à l’Église. Et donc, cela nous encourage en région à mettre en place des formations pour toutes ces personnes. Et la demande est réelle.
Cela libère de la place pour que s’exprime librement d’autres serviteurs.
Et cela va produire ce qu’explique très bien Jeanne Farmer :
« Quand le responsable … prend le temps de définir ses propres responsabilités et s’applique à les accomplir, sans se mêler de celles des autres, les autres … ont tendance à faire de même, et toute l’organisation fonctionne mieux » (6)
Clairement pas. Ce ‘vide’ permet justement à de nombreux frères et soeurs de répondre à leur appel qui n’était pas exactement celui de pasteur.
Par ces ‘manques de pasteur’, Dieu nous encourage à réfléchir, et peut-être aussi à ne pas nous cloisonner dans un fonctionnement unique d’Église, ni à un type unique de ministère et serviteurs : Apôtre, évangéliste, prophète peuvent aussi émerger, saisir qu’il y a de la place pour eux aussi. Il est possible que ce soit des fonctions qui font peurs, parfois. Mais Dieu ne se trompe pas dans les dons qu’il confie à des personnes pour le bien de l’Église.
Une question : ces frères et soeurs qui se lèvent, chacun avec leur don, auraient-ils pu le faire si les églises avaient bénéficié d’un pasteur à 100% ? La réflexion dans les Églises locales auraient-elles été la même, ou la liberté d’action et de créativité ?
Une autre question : aurais-je tenu 11 ans dans les conditions d’un pasteur qui se serait concentré sur une seule Église ? Le ministère de pasteur de réseau possède un autre avantage, il évite un autre danger que Richard Gélin pointe après de nombreuses expériences :
« Certaines communautés donnent l’impression de considérer le pasteur comme l’employé de l’Église, un exécutant » (7)
Devoir partagé l’agenda du pasteur avec d’autres églises libère de ce danger potentiel si tout cela est réalisé avec la sagesse de Dieu, avec l’Esprit Saint.
En fait, cela me permet de vivre mon service tel un « serviteur libre » tel que décrit par Richard Gélin :
« Avec conviction, j’ai toujours considéré être un serviteur libre. Serviteur dans l’esprit même de la présence, de l’attention et de la disponibilité aux hommes et aux femmes qui forment l’assemblée… Libre parce que la source de ce service, sa raison d’être et sa finalité sont liées à l’Évangile, et non aux stratégies particulières d’une assemblée.
Le pasteur est un interprète des Écritures. Sa liberté est conditionnée et contrainte pas elles ».
Or, la Parole n’a ni contraint le pasteur à se centrer sur l’Église locale seule, ni forcer celui-ci à être dans plusieurs églises. « La Parole de Dieu n’est pas liée » (8) par des fonctionnements humains, Dieu s’en sert, et parfois cela passera pas tel type de ministère, d’autrefois différemment.
Pour tous ces points, j’en viens à cette conviction :
Michaël Piette
1 Fondement biblique du ministère pastoral, Émile Nicole, Les cahiers de l’école pastorale HS20
2 Éph 4.11
3 L’essentiel dans l’Église, Colin Marshall, Tony Payne, p98-104
4 2 Co 10.13-14
5 Le ministère pastoral, Jeanne Farmer, p47
6 Ibid, p63
7 Vivre les transitions dans le ministère, Richard Gelin, Les cahiers de l’école pastorale HS 20
8 2 Ti 2.9